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Dix courts fragments de la méthode.

Montage de textes africanistes à vocation méthodologique dus à Jean Laude et réunis par Jean-Louis Paudrat


Tirés de la publication « Pour Jean Laude » éditée par le Musée d’Art Moderne de Saint-Etienne en 1991.



"Toute forme a une signification qui lui est conférée de l'extérieur, en référence à une fonction. Mais elle possède, en elle-même, indépendamment de ses significations réglementaires et imposées, un sens qui lui est propre. On peut parler d'un sens de la forme, c'est-à-dire d'une signification spécifique que la forme contient, en tant que forme". Esthétique et système de classification : la statuaire africaine, p.58

"L'art n'est pas une superstructure sociale, reflétant l'état d'une culture : il est un élément formateur de cette culture dont il constitue une fonction fondamentale. Il n'y a pas, d'une part, une culture dont les traits et les structures cloisonnent les différentes activités humaines et, d'autre part, les productions et activités humaines qui doivent se conformer aux exigences de cadres pré-établis. Ce sont ces productions, ces activités qui définissent, qui créent ces cadres, qui permettent de caractériser la culture envisagée. L'on ne peut donc partir d'une conception préalable de la culture dogon pour rechercher ensuite comment s'y intègrent, plus ou moins harmonieusement, les productions artistiques. Mais il faut voir comment les productions artistiques agissent sur le milieu, matériel et mental, qu'elles transforment, à la création duquel elles collaborent". La statuaire du pays dogon, p.52-53.

"Une série d'objets, incarnant un thème identique, se référant à une même séquence d'un mythe, assujettis à de semblables fins cultuelles, ne se laisse pas saisir comme rigoureusement homogène, pour peu qu'elle soit suffisamment étendue. Une lecture ethnologique de l'art ne saurait donc consister, dans un premier temps, en un rassemblement concernant l'usage des oeuvres, les circonstances de cet usage, le sujet, etc. et, dans un deuxième temps, en leur mise en relation avec un système de formes". Lecture ethnologique de l'art, p.200.

"L'on peut dire, maintenant, que les peuples de la Falaise (et en général, les Africains traditionnels) pensent avec des formes, à tout le moins avec des signes, beaucoup plus qu'avec des mots. Dès lors, la relation des oeuvres sculptées et des mythes oraux devrait être renversée : le mythe oral se produisant à partir des oeuvres sculptées (...). Ou, si l'on préfère une formule moins provocante : la relation de l'objet et du mythe doit être saisie dialectiquement ; la thématique de la sculpture se nourrit à celle d'un discours qui, dans le même temps, est produit par les formes et par les systèmes d'agencement de formes des objets figurés". African art of the Dogon, p. 26.

"Il semblerait même que non seulement la statuaire n'interpréterait pas les mythes mais qu'au contraire les mythes s'élaboreraient à partir de la statuaire. (...) Ce processus serait analogue à celui qui, chez les antésocratiques, élaborait la pensée à travers et par des jeux de mots. L'activité mythique s'exprimerait, dans la statuaire du pays dogon, à travers et par des jeux de formes. Une même structure formelle ferait l'objet d'interprétations qui la situeraient dans un ensemble plutôt qu'elles n'élucideraient son sens premier". La statuaire du pays dogon, p.56.

"Un thème ne détermine donc pas le système formel qui le concrétise : il n'épuise pas le contenu des oeuvres. Les écarts stylistiques, comme les écarts phonétiques, s'additionnent. Parfois, le système formel, par innovations successives, "décroche" du thème initial : une rupture sémantique se produit. Mais 'la série originelle est toujours là, prête à servir de système de référence pour interpréter ou rectifier les changements qui se produisent dans la série issue" (Cl. Lévi-Strauss). La pensée mythique s'exerce à travers et par des formes : l'Africain pense en agençant des formes, tout autant que des mots. L'art possède, en Afrique noire, un caractère opératoire très net. Ce caractère opératoire est aussi observable dans le mode d'agencement des signes : la statuaire du pays dogon apparaît comme un système combinatoire de formes stéréotypes qui détiennent leurs sens de leur situation relative au sein d'un ensemble. Ce système favorise la diversification des sculptures et la prolifération des sens autour d'un même thème. Dans l'ordre stylistique, il s'observe par l'usage de la notion de "montage". Changer, ôter ou ajouter un élément, c'est inscrire la sculpture dans une autre "classe". Cette sculpture n'est pas altérée en son sens, mais un de ses sens est plus particulièrement mis en évidence : elle s'articule ainsi à un autre ordre de représentations. Chaque forme doit, donc, être à la fois spécifiée et suffisamment indifférenciée pour pouvoir être manipulée et intégrée à des ensembles, sans contrevenir à leur unité". Esthétique et langage : la statuaire africaine, p. 394-395.

"Plutôt que de fonction symboliste, il conviendrait de parler de fonction signifiante, étant entendu que le rapport des signes ou des groupes de signes, à ce qu'ils sont censés signifier, ne doit pas être envisagé d'une manière univoque, que les signes ou groupes de signes peuvent produire de nouveaux sens soit en se transformant, soit en se redistribuant autrement dans les combinaisons où ils sont associés". Art et Mythe, p.76.

"La fonction significative des sculptures ne se réduit, cependant, pas à la transmission d'un savoir stable et codifié ; elle est aussi liée à une exploration, à un approfondissement de la connaissance (le système combinatoire des signes étant, en effet, opératoire). Elle maintient et authentifie la réalité des valeurs collectives mais elle étend, également, le champ de cette réalité (toute innovation, volontaire ou non, est immédiatement "sémantisée")". Esthétique et langage : la statuaire africaine, p. 395.

Une étude poussée des modes d'agencement des volumes dans la statuaire laisse apparaître un certain nombre de figures qui les règlent : spirale, opposition des vides et des pleins, symétrie, opposition et contrepoint des masses. Ces figures connotent une double attitude à l'endroit du rythme : il s'agit, tout à la fois, de canaliser pour se l'approprier, l'énergie qui traverse la nature et de la contrôler, de la maîtriser, soit de prendre possession de la nature par la culture. A cette double attitude correspondent, d'une part, une fonction vitaliste du rythme (...), d'autre part, son pouvoir ordonnateur, voire classificateur, tel qu'il combine des éléments signifiants et les redistribue, les organise selon un code formel précis, tel qu'il se manifeste, également, en musique dans les séquences d'accent". Art et Mythe, p. 77.

"Au processus classique de l'analyse qui détermine la fonction pour comprendre l'oeuvre, il convient désormais de substituer une démarche qui, partant des oeuvres mêmes, en tant qu'objets constitués et spécifiques, en dégage les propriétés formelles et les considère au sein de la série des autres objets dont elle fait partie, mesure, enfin, selon une méthode tout à la fois comparative et différentielle, les écarts stylistiques et leur degré de pertinence, afin d'en dégager progressivement le sens. L'on ne cherchera donc pas à expliquer les systèmes de formes par les fonctions que ces oeuvres sont présumées exercer. Mais bien au contraire, c'est à travers l'analyse de ces systèmes que les fonctions pourront se laisser déterminer avec le plus d'efficacité". Lecture ethnologique de l'art, p. 201.

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