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Eléments rédigés par Bernard Laude, jeune frère de Jean en 2022.
En italique, les citations de lettres de Jean pendant le temps du STO.

Né le 11 mai 1922 à Dunkerque (Nord), décédé le 8 décembre 1983 à l’Hôtel-Dieu, Paris, Jean, Auguste, Achille Laude, était le fils d’Achille, Paul, Hubert, inspecteur des Postes Télégrammes Téléphone, ancien combattant de la Grande Guerre (Hartmannwillerkopf dans les Vosges et Ypres dans le Nord où il fut partiellement gazé à l’ypérite) ; mobilisé d’office en 1939 à son poste d’ambulant il participera ensuite à l’évasion de prisonniers et à l’acheminement du courrier de la Résistance jusqu’à la Libération de Paris en août 1944. Sa mère, née Maréchal, Marthe, était femme au foyer et mère de trois enfants.

 

Son grand-père paternel, Achille Laude était bottier attitré des officiers. Son grand-père maternel (fils d’une famille de pêcheurs de neuf enfants) abandonna vers 12 ans ses études pour aider financièrement ses parents (et par manque d’appétence pour les études ?). Il fut employé comme mousse sur un chalutier pratiquant la pêche à la morue en Islande. Les conditions de vie particulièrement dures pour les marins (froid glacial, tempêtes, promiscuité, nourriture) l’étaient encore plus pour un très jeune garçon. Lorsqu’il décida d'épouser Marie Dejonghe, il reprit ses études tout en continuant à travailler.

 

Cette période d’activité lui fut pénible. Mais à force de persévérance et de courage il passa avec succès l’examen de capitaine au long cours et fut retenu comme pilote au port de Dunkerque où, pendant la Grande Guerre, il fut élevé à la dignité de Chevalier de la Légion d’ Honneur et reçut la Croix du Mérite maritime pour services rendus.

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Photo prise juste avant le départ de Jean. Les trois frères.

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TITRES UNIVERSITAIRES

 

  • 1941, Paris : Baccalauréat A (Latin, Grec, Allemand, Philosophie)

  • 1950, Paris : Licence ès lettres (certificats : Morale et sociologie, Psychologie (option esthétique), Ethnologie (option linguistique), Histoire des religions).

  • 1964 : Doctorat de troisième cycle (« La Statuaire en pays dogon ») avec mention Très Honorable. Président du Jury : M.E. Souriau ; Rapporteur : M.P. Francastel ; Assesseur : M.R. Bastide.

  • 27-06-1968 : Doctorat d’Etat (« La Peinture française et l’Art Nègre (1905-1914) » avec la mention Très Honorable. Président du Jury : M.R. Bastide ; Rapporteur : M.E. Souriau ; Assesseurs : M.R. Jullian et M. M. Dufresne.

 

 

 

CONSIDERATIONS HISTORICO-FAMILIALES

 

  • La déclaration de guerre en septembre 1939, à Dunkerque où la famille Laude terminait ses vacances chez la grand-mère maternelle (veuve), fut suivie quelques jours après du survol de la plage de Malo-les-Bains par un avion allemand de reconnaissance qui obligea tout le monde à s’abriter dans la cave, dans la terreur des mère et grand-mère et l’insouciance turbulente et volubile des enfants ignorant les dangers tout en goûtant aux joies d’une aventure qu’ils n’avaient pas vécue auparavant.

  • Fort de l’expérience des réfugiés alsaciens et nordiques de la « Guerre de 14 », le père de Jean Laude décida de rapatrier la famille à Saintes (Charente-Maritime) où sa sœur aînée, veuve de médecin, habitait. Mais, malgré tous les espoirs entretenus par la « propagande gouvernementale » (ligne Maginot, bataille de Narvik en Norvège le 25 mai1940, bataille du fer (la route du fer est coupée), entrée de l’armée française en Belgique, etc.) entre mai et juin 1940 les Allemands arrivèrent à Saintes. Le plus jeune frère de Jean Laude ne put empêcher ses larmes (il avait 9 ans) quand il vit débouler dans la rue principale un side-car allemand de la «  Feld gendarmerie », dont les hommes étaient casqués et armés jusqu‘aux dents. C’était la FIN, un vrai désastre.

  • Au collège de Saintes, Jean est élève de Première classique et s’essaie à travailler alors que la famille est absolument sans aucune nouvelle de son père de mai à septembre 1940 qui était bloqué à Brioude (Haute-Loire) avec ses wagons et des compagnons d’infortune.

  • A ces moments déchirants personne n’avait entendu parler du Général de Gaulle et tout le monde, dans ce terrible chaos, ne peut que se reposer sur l’homme providentiel qu’était Pétain (glorieux combattant de Verdun en 1917), adoubé, à une écrasante majorité par la Chambre des députés.

  • Puis fin septembre/début octobre la famille, enfin réunie au grand complet, regagna son appartement au 48 Boulevard Voltaire (et dont la chambre était mitoyenne de ce qu’on appelait alors le « cinéma Bataclan »).

  • Terminant son cycle secondaire au lycée Voltaire (près du Père Lachaise), Jean obtint au grand soulagement de ses parents, son baccalauréat classique (latin, grec, allemand et philosophie) en 1941. Son père l’incitait à devenir fonctionnaire (inspecteur des impôts !!! ou conservateur des hypothèques !!!) et il suivit – vraisemblablement — sa préparation à la licence en droit avec beaucoup de recul (euphémisme). Bien souvent il écrivait des poèmes en cachette. A cette époque la majorité était à 21 ans et le jeune homme – tant qu’il n’avait pas achevé ses études et n’avait pas de « situation » devait habiter chez ses parents, bénéficiant de peu de distractions.

 

 

SERVICE DU TRAVAIL OBLIGATOIRE

 

  • Une loi du 4 septembre 1942 mise en place pour répondre aux exigences allemandes de main d’œuvre, prolonge la politique vichyste de la « Relève » mise en place début 1942 et qui consistait à envoyer en Allemagne des travailleurs spécialisés volontaires en échange du retour de prisonniers de guerre (3 travailleurs pour 1 prisonnier). L’échec de la « Relève » et la faiblesse de ses résultats entraînent l’instauration par Laval (en accord avec le ministre allemand du travail, Sauckel) d’une nouvelle loi du 16 février 1943 modifiant le recrutement du S.T.O. : il ne se fait plus selon un critère professionnel mais sur une base démographique. Les réquisitions concernent désormais tous les jeunes gens nés entre 1920 et 1922. Ceux-ci étaient trop jeunes en 39/40 pour avoir été mobilisés et, depuis l’armistice du 24 juin 1940, sans service militaire.

  • La propagande vichyssoise matraque le pays pour faire approuver la décision et créer la confusion entre volontaires et contraints, « planqués » (par piston) et maquisards. De ce matraquage, encore répandu aujourd’hui, le S.T.O. était composé de volontaires et non d’otages ! Ceci allait frapper ces jeunes d’une double sanction : être déportés en Allemagne et devoir subir la réprobation des Français les accusant de travailler pour l’ennemi. Et aucune marque, même de reconnaissance ou de compassion, n’a été rendue à cette « jeunesse volée » et une lourde chape de silence pèse encore sur elle de nos jours. Et dans le contexte de l’époque – même si ces jeunes ne relevaient pas des camps d’extermination (Juifs, Tziganes, homosexuels), ni des camps de concentration ( Résistants), ni des camps de prisonniers militaires non astreints au travail – ils n’en subirent pas moins les humiliations, la peur, une forme de honte en sus de la dureté des travaux à accomplir, de la grande rareté du tabac, du manque de courrier et de l’impossibilité d’exprimer la réalité de leur quotidien, et, bien sûr du manque de nourriture (ils étaient à la limite de la famine) et de soins adaptés à leur existence d’esclaves.

 

REQUISITION, EMBARQUEMENT, ENCADREMENT

  • On peut imaginer le dilemme épouvantable du père à laisser partir son fils aîné, afin que les miliciens à la solde de Vichy ne s’en prennent pas à son jeune frère, Pierre, alors seulement âgé de 17 ans et fragile de santé, pour le remplacer. A cette date, il n’avait pas (on le suppose) de relations avec un réseau de Résistance pour « l’exfiltration », ni de vrais amis fiables ni de tiers capables de l’orienter (et pourtant une de ses connaissances, courtier en assurances, avait réussi à « planquer » son fils sans vouloir donner aucune piste à la famille Laude).

 

  • 36 lettres ont été reçues par la famille de Jean en 33 mois de S.T.O, de son départ de Bourges début septembre 1942 à sa libération par les Américains fin mai 1945. A noter deux expressions recueillies de Jean Laude : « Le manque de tabac était plus difficile à supporter que le manque ou l’insuffisance de nourriture » et « Le travail intellectuel est beaucoup plus fatigant que le travail manuel, car dans le premier cas on ne dort pas alors que dans le deuxième on s’écroule comme une bête dans sa litière ». Par ailleurs, au point de vue psychologique, le courrier aurait permis d’être relié à un passé heureux, d’oublier un peu le présent et d’espérer, coûte que coûte,  un avenir meilleur ainsi plus proche. A ce régime-là Jean Laude a acquis – en un temps relativement court – une grande maturité. Ainsi dans sa lettre du 1er mai 1944 : « Il me semble que j’ai quitté le lycée hier. Tout passe vite. Voilà plus de 19 mois que je suis parti. J’ai passé des jours durs, d’autres plus optimistes. En fait j’arrive à mesurer ce qui m’a mûri et à juger d’un cœur plus égal ce qui m’advient. Ce n’aura pas, peut-être, été inutile de venir ici. J’ai mûri, je crois, plus ici qu’en 2 ans en France ». Il ajoute néanmoins : « Il n’empêche que je trouve que la plaisanterie a duré assez longtemps ».

 

 

  • Notons que ses lettres, si elles parlent du « supplice » qu’est son travail (il est successivement terrassier, débardeur, maçon, contrôleur de suspension de chars, tourneur fraiseur, secrétaire-interprète, cuisinier, transporteur de caisses de munition et fusils mitrailleurs, magasinier ; il décharge des pièces rouillées de plus en plus lourdes, et enfin s’occupe du regroupement et du transfert des prisonniers vers la France…), trouvent toujours le moyen de s’inquiéter de sa famille, de la situation à Paris, de la nourriture et des études de ses jeunes frères , de leurs lectures, de la fête des mères, de sa grand-mère en deuil de son frère…

In Le mur bleu, Mercure de France, 1965

CE SUR QUOI les idéologies de salut spéculent avec le plus d'aisance et d'efficacité n'est point la misère qui serait, ici-bas, notre lopin actuel : c'est la croyance en un pouvoir — qui nous serait donné — de généraliser, ailleurs et plus tard, les fugaces impressions d'un bonheur glorieux, par grâce appréhendé. Si le bonheur se prouve, en quelques instants dont nous tissons nos songes déployés devant nous, il est terrestre cependant. Et ce qu'il prouve, c'est lui-même : une saisie du réel, non pas l'extase d'une âme déshabillée de son corps par la foudre divine. Ce qui nous est apparemment donné est bien donné, si pauvre, si fugace que ce soit. Ne l'épuisons pas en ce qu'il n'est pas : n'en faisons pas un quelconque intersigne ou bien une promesse. Ce qui nous est apparemment donné nous appartient et vient de nous : ne nous en dépossédons pas.

 

Je me souviens de la nuit cruelle pendant laquelle, bon gré, mal gré, je faisais ces observations. C'était en Autriche, près d'Amstetten, sur une sorte de chantier wagnérien où la guerre m'avait déporté. Après un bombardement qui avait labouré une gare de triage, une meute de chiens sauvages avait rassemblé tout ce que la région comportait de prisonniers, de requis civils, de concentrationnaires. Ténèbres coupe-rosées, violentes fanfares de pourpres et d'ors verts, des torches, des fontaines d'étincelles mettaient au monde un lacis de ferrailles, des pans crayeux qui soudain s'abattaient avec un bruit que nul n'entendait plus. Les chiens, les chiens d'enfer couraient en tous sens, aboyaient furieusement. Des masses énormes basculaient sur les talus, des excavatrices déblayaient, en bloc. Et le vent d'est composait une symphonie ; il chantait sans relâche le vacarme où chacun s'oubliait.

 

Je n'imagine pas aisément une situation où l'homme soit davantage exilé. Car, exilés, nous l'étions doublement. Et d'abord de nos patries respectives. Mais aussi, plus gravement, d'un monde humain, de l'homme lui-même. Des loques rayées, de vieilles livrées rescapées de toutes les armées défaites, des bleus de chauffe transparents flottaient en s'agitant, faisaient corps avec ces choses innommables et sans forme qu'ils maniaient. Ils étaient eux-mêmes de ces choses méprisables que les maîtres désignaient d'un aboiement.

 

Une alerte soudaine éparpilla la foule des zombies. L'armée montrait le chemin à coups de crosse. Les premiers insectes sont déjà dans les feux tournants des projecteurs. Je me retourne : derrière moi volent deux mains blanches, une tête effarée, séparées de leur corps que la nuit a dissous : ce sont des feuilles coupées. Et brusquement, le silence tombe comme la neige, la peur se tait. Il y a seulement ce ronronnement obscène dans le ciel, quelque part où un invisible point vecteur déplace la géométrie des lumières. Je me retrouve, avec mon compagnon, sur une petite éminence, loin du chantier, dans un bois déchiqueté.

 

Calme lucidité de cette solitude soudainement offerte, elle n'était faite que d'une attente. Nous scrutions les figures d'un ballet qui s'écrivait sur l'écran de la nuit ; nous pesions légèrement nos chances. Nous parlâmes un peu de choses abstraites qui n'avaient pas d'importance, peut-être. Ces vagues idées remettaient en marche une machine depuis longtemps au rancart et nous redonnaient, avec le sentiment d'une certaine ironie, celui d'une sorte de dignité. Diogène était notre homme. Au fin fond de l'exil et du délaissement, nous retrouvions, sans de trop grosses phrases, ce quelque chose que rien, désormais, ne pouvait plus altérer. Nous pûmes regarder silencieusement la neige dans les projecteurs et concevoir une beauté apaisante au sein de ce qui la pouvait déchiqueter.

 

Certes non, le malheur et la souffrance, nous n'en étions pas quittes à si bon compte. A ce moment où, dépossédés de tout, nous n'étions plus qu'un tas d'entrailles criantes, déchirées par la faim et mordues par le froid, nous nous étions cependant approprié un seul et pauvre bien : comme dans un conte un jeu de fées dansantes, la neige calme et blanche disait que tout n'était pas absence. Et c'était tout de même un peu plus qu'une promesse ou un espoir. Le mal n'est pas de vivre : il est d'accorder la vie et le malheur.

 

In Le mur bleu, 1965, (Trois thèmes pour variations (I. La nuit d’Amstetten), p. 22-25).

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